J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité.
Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité.
En effet, il n’y a qu’un seul Dieu ; il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous.
1 Timothée 2,1-6a (BL)
Avez-vous regardé le couronnement de Charles III ?
Peut-être n’êtes-vous pas particulièrement royaliste. La cérémonie a pu agacer votre ADN républicain français.
Peut-être aussi que la cérémonie liturgique fastueuse, très religieuse, a pu agacer votre sensibilité laïque et aussi exciter vos réflexes d’austérité protestante.
Mais mettons nos instincts de côté un instant et examinons le sens des symboles mis en scène lors de cette cérémonie de couronnement.
Je l’ai dit, la cérémonie qui a établi Charles comme roi est une cérémonie totalement religieuse, le couronnement est d’abord un culte, anglican, qui institue le chef de l’Église, on peut la comparer à une super-confirmation ou à l’ordination d’un Évêque ou du pape.
Le cœur de l’événement était non pas le couronnement lui-même mais l’onction de la personne de Charles III par l’archevêque de Canterbury, avec une huile fabriquée avec des olives récoltées sur le Mont des Oliviers. Elle instituait Charles comme prêtre et roi, et l’engageait à à servir la justice et le droit en toutes circonstances.
Le couronnement quant à lui a été suivi par une formule célèbre, qui est en fait une prière : « God save the King ! ».
Quelle est la signification de cette cérémonie ? Elle rappelle que le roi n’est pas Dieu, mais qu’il trouve la source et la légitimité de sa fonction en Dieu.
Bien sûr, nous pouvons interroger républicainement le fait que le roi soit institué héréditairement et dynastiquement et non électivement, qu’il soit positionné au-dessus du peuple, ou pour un protestant qu’il soit situé comme un prêtre à part du peuple. Et nous savons bien que la réalité du pouvoir du souverain britannique n’est plus que d’apparence. Néanmoins je relève dans cette cérémonie l’affirmation théologique, que dans l’exercice de sa fonction, le souverain, le gouvernant, tout homme politique, toute personne en responsabilité est appelée à se souvenir qu’elle n’agit pas en son nom propre, ni pour son bénéfice propre, mais au nom de Dieu, au service de ceux qui la reconnaissent.
Et c’est là l’objet du texte de Timothée. Paul écrit : J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité.
Prier pour les autorités.
C’est quelque chose qui a toujours été important dans le christianisme, et aussi pour le protestantisme, en particulier luthérien. Le chrétien est appelé à être « citoyen » et même « bon citoyen », à participer et à s’impliquer dans la société dans laquelle il vit.
C’est ce qui distingue la secte de la religion : la secte, c’est sa définition, est un mouvement religieux qui se coupe de la société, qui ne la reconnaît pas, ne reconnaît pas non plus les cadres politiques en place, qui se met à part. La religion quant à elle reconnaît la société et son organisation dans laquelle elle évolue. Elle y contribue à entretenir à et améliorer les liens sociaux.
Mais ce que je dis sont de beaux principes.
Passons maintenant à leur application concrète : est-ce que vous avez déjà prié pour Emmanuel Macron ? Pour le gouvernement d’Elisabeth Borne ? Non ?
Je crois qu’il faut le faire. Je crois que nous sommes appelés à le faire.
Je vous dis cela, alors que peut-être vous êtes allé manifester contre la réforme des retraites. Peut-être avez-vous un certain nombre de reproches à faire à la gouvernance de notre pays. Peut-être n’appréciez-vous pas la personnalité du président.
Pourtant il nous faut malgré tout prier pour Emmanuel Macron. Et pour les ministres du gouvernement.
Je dis Emmanuel Macron, mais cela était bien sûr valable pour François Hollande, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac.
Pourquoi cette idée peut-elle peut-être nous heurter ? Je vous avais proposé au début du culte de prier pour les personnes présentes ici qui nous agacent, que nous n’aimons pas, ce n’était pas simple, mais là, c’est peut-être au-delà de vos forces.
Peut-être qu’il serait utile de nous demander : qu’est-ce que prier ?
Est-ce que prier c’est voter ? Est-ce que prier c’est valider une personne ? Certainement. Je ne vous ai pas demandé de lui adresser votre bulletin de vote ou d’adhérer à son parti, à ses idées. Je vous ai demandé de prier pour lui.
Si je commence à me poser des questions sur ce qu’est la prière, elles vont vite se démultiplier.
On pourra se demander aussi :
- Combien de temps faut-il prier ? Une prière longue est-elle plus efficace, meilleure qu’une prière courte ?
- Combien de fois faut-il prier ? Une fois par jour au coucher, au lever et au coucher ? 3 fois comme les mouvements des Veilleurs ou à Taizé, 5 fois comme les musulmans, 7 fois selon la tradition monastiques ?
- Comment prier ? Y a-t-il des prières qui montent plus vite au ciel, des prières coupe-files comme dans les aéroports où nous voyons quelques privilégiés nous passer sous le nez alors que nous sommes munis de notre pauvre billet de classe éco ?
- Y a-t-il des mots plus justes, des intermédiaires spécialisés comme les prêtres, les saints, des gestes plus opératoires, des lieux plus favorables comme les églises ou les montagnes dans beaucoup de religions ? Prier à Rome ou à Jérusalem, à la Mecque ou à Varanasi au bord du Gange nous assurera-t-il une meilleure connexion wifi avec le monde du divin ?
- Y a-t-il des vêtements plus adaptés ? Si je prie en robe pastorale ma prière sera-t-elle plus performative, aura-t-elle plus d’autorité auprès de vous, de Dieu ?
- Y a-t-il des positions plus convenables ? Prier à genoux, les mains jointes, les yeux ouverts ou fermés, couché peut-il permettre d’ouvrir plus largement la porte du ciel et les oreilles de Dieu ?
- Jeûner favorise-t-il la prière ? La prière relève-t-elle d’une disposition de la conscience particulière ? Certains scientifiques ont essayé de poser des électrodes sur la tête de moines et de priants pour analyser l’activité du cerveau.
On le voit, les religions et l’humain ont fait de preuve d’énormément de créativité et d’une inventivité étonnante pour proposer toute une variété de modes de communication avec le divin.
Mais j’ai failli oublier. Je m’adresse à des protestants.
Pour la plupart de ces questions nous répondrons simplement ; Non. Nous avons évacué les intermédiations (prêtres et saints), le décorum (vêtements et lieux), toute sacralité des lieux, des postures, des personnes, des objets.
Mais cela ne nous dit pas encore ce qu’est la prière. Quel est son sens ? Pourquoi prier ?
La Bible ne donne pas précisément de définition à la prière. Mais par petites touches nous aide à trouver notre propre définition et pratique.
Parmi ces touches il y a bien sûr le Notre Père. Et les mots qui précèdent sont particulièrement forts : « quand tu pries, ne sois pas comme les hypocrites, car ils aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et aux coins des rues, en sorte qu’ils soient vus des hommes… Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, et ayant fermé ta porte, prie ton Père qui [demeure] dans le secret «
Je comprends dans ces mots qu’il n’y a pas de méthode de prière transmise par >Jésus, ni de discipline, ni de définition fermée. La prière relève de la relation intime avec Dieu. Il nous met en garde aussi contre son instrumentalisation, contre la prière « Instagram » : regardez comme je suis beau quand je prie !
Jeudi dernier à l’occasion d’une réunion pour préparer la prochaine journée œcuménique, l’une des participantes, catholique, a évoqué diverses pratiques de prières, pour soigner notre vie intérieure : la prière silencieuse, la prière/méditation de pleine présence, les exercices spirituels inspirés d’Ignace de Loyola. Elle m’a demandé : chez les protestants, y a-t-il une tradition particulière de prière que nous pourrions partager ?
« Euh… » ai-je dit. C’est quoi le « truc » spirituel protestant ? Comment soignons-nous notre vie intérieure ?
Il faut reconnaître que la spiritualité, la mystique sont assez peu présents dans le protestantisme, comme une pratique particulière de prière hors celle d’un culte.
J’ai répondu : comme protestant, pour soigner ma vie intérieure, j’ai juste besoin de ma Bible. La réflexion et la méditation du texte biblique et son éclairage sur ma vie, cela me suffit.
Si nous ne pouvons pas enclore la prière dans une définition figée, peut-être que l’interpellation de Paul peut nous aider à discerner un peu mieux ce qu’elle est de ce qu’elle n’est pas.
Ce qu’elle est c’est peut-être simplement un état d’esprit.
Prier c’est peut-être adopter un état d’esprit qui nous rende capable de prier pour Emmanuel Macron même si nous n’en sommes pas un fidèle politique.
Parce que quand Paul invite à prier pour les autorités, à qui pense-t-il concrètement ?
On considère habituellement que l’épître à Timothée aurait été écrite vers l’an 65 de notre ère.
Or qui était alors l’autorité politique principale dans l’empire romain ?
C’était un jeune empereur de moins de trente ans, qui s’appelait : Néron. Célèbre pour avoir fait empoisonner sa mère, au moins l’une de ses épouses, et presque toute sa famille. C’est aussi lui qui ordonnera la première persécution massive de chrétiens pour fournir un bouc émissaire lors de l’incendie de Rome.
Quand Paul dit : « priez pour les autorités » il dit en fait d’abord : « priez pour Néron ».
On le voit la prière n’est de loin pas une manière d’exprimer un soutien ou une approbation à l’action des hommes politiques. Faisant cela il s’inscrit dans les pas de son maître qui avait prié pour ses bourreaux qui « ne savaient pas ce qu’ils font ». Qui avait invité à prier pour ses ennemis.
On le voit, la prière n’a rien à voir avec l’approbation, l’admiration, le soutien à celui pour qui l’on prie. L’ACAT le sait bien aussi lui qui prie pour les victimes comme pour les bourreaux.
Le sens de la prière pour les autorités, est en fait double :
- D’une part elle signifie que le souverain, le roi, le président, mais aussi le maire, le ministre, le député, sont des hommes, demeurent des hommes. En aucun cas ils ne sont des dieux. Prier pour les autorités c’est faire descendre d’une marche ceux qui pensent s’être installé sur l’Olympe, ou qui se prendraient pour Jupiter. Prier pour les chefs d’état c’est le contraire de les honorer comme des héros. Nous savons que « le pouvoir peut griser jusqu’à la folie. Cela arrive même dans nos petites structures humaines, nos paroisses, nos associations, nos communautés ! » (Francis Muller). De ce point de vue prier pour une autorité c’est la placer à notre hauteur, comme un être de manque et non comme la solution à tous nos problèmes.
A l’époque des empereurs on en était déjà conscient, j’avais évoqué il y a quelques temps la présence de cet esclave lors des triomphes des empereurs chargé de leur dire à l’oreille « memento mori », « souviens-toi que tu es mortel ». - Et puis le second sens de la prière aux autorités nous concerne nous-mêmes. Pour que nous ne nous instituions pas nous-mêmes en petit dieux. Faire descendre l’autorité de son piédestal ce n’est pas pour en prendre la place. Il ne s’agit pas de remplacer le culte du chef par notre petit culte personnel centré sur nous-mêmes.
La prière pour l’autorité politique reconnaît la difficulté d’une telle fonction portée par la fragilité d’un être humain.
Elle dit enfin son espérance que le responsable politique se souvienne au nom de qui il exerce son pouvoir et elle le lui rappelle : il règne, gouverne, travaille non en son nom propre, mais au nom de plus grand que lui, comme Charles III, il est appelé à se souvenir de servir Dieu et de « servir la justice et le droit en toutes circonstances ».
Je vous inviterai à présent à regarder l’image qui a été placée dans vos cantiques de la Diète de Worms.
C’est un tableau qui est exposé au musée du Désert et qui ouvre la visite.
Il met en scène le procès de Luther lors de la diète de Worms.
Luther est en noir, en contre-bas dominé par l’empereur Charles Quint qui surplombe la scène, fastueusement vêtu. Regardez bien la scène. Que fait Luther ?
Il pointe du doigt la Bible.
Il rappelle à l’empereur que s’il a tout le respect de Luther pour sa fonction, tout empereur qu’il soit, il demeure un homme, comme l’est le pape. Et que tous, manant, prêtre, moine, prince, empereur, pape, savetier ou coiffeur, dans l’exercice de leurs responsabilités ont à se souvenir qu’ils sont d’abord soumis à Dieu, et à sa Parole révélée dans la Bible.
Il (Luther) dira « Moi, qui ne suis que terre et poussière, et qui peux si facilement me tromper,… Je conjure donc votre majesté impériale et vos altesses, et qui que ce soit, hautement ou humblement placé, de vouloir bien me convaincre par les paroles des prophètes et des apôtres que je me suis trompé. Qu’on me le prouve, et je suis tout prêt à désavouer mes erreurs, et je serai le premier à jeter mes livres au feu. »
Cette parole est étonnamment courageuse et transgressive. Il ne dit pas : « vous êtes empereur et pape », donc vous êtes naturellement porteurs de la vérité. Il dit, toi empereur, toi pape, vous êtes comme moi soumis aux paroles des prophètes et apôtres. Si je me suis trompé ce ne peut être que par rapport à eux, non pas à vous.
Au niveau plus personnel, les paroles et l’attitude de Martin Luther peuvent encore nous informer quant à ce qu’est la prière.
Prier c’est une disposition d’esprit. Nous prions chaque fois que, comme nous l’attendons de l’empereur ou du président, nous nous souvenons que nous ne sommes que terre et poussière, que nous pouvons facilement nous tromper.
L’attitude de prière est la disposition intérieure par laquelle nous nous décentrons de nous-mêmes, nous acceptons de ne pas avoir de pouvoir ou de savoir sur toute chose.
Et, cette attitude intérieure, cette prière, nous pouvons l’adopter « sans cesse », comme nous y invite Paul dans une autre lettre lorsqu’il dit « priez sans cesse » en 1 Thessaloniciens 5 : 17.
Prier sans cesse ce n’est pas aller sans cesse à l’église, prendre 10, 15, 50 minutes à part de notre temps pour parler à Dieu, mais cela peut aussi être cela. C’est d’abord transformer notre relation à nous-mêmes et aux autres, en plaçant toute chose dans la conscience de la présence de Dieu.
A l’occasion de funérailles récentes, la famille me parlait de l’absence de l’un des fils de la défunte. Celui-ci avait rompu toute relation avec sa mère, comme avec ses frères et sœurs. S’il y avait de la tristesse exprimée il y avait aussi une acceptation et j’ai relevé une parole d’une des sœurs qui m’a dit « on ne peut pas changer l’autre ».
Prier c’est aussi accepter que nous ne puissions pas changer l’autre. C’est mettre à distance notre frustration, pour ne pas la porter. Ainsi si le président ne nous satisfait pas, plutôt que d’espérer qu’il change, ce qui n’est pas en notre pouvoir et de nous en aigrir, nous pouvons déplacer notre attente dans la prière, non pas pour que la personne change, ce qui serait prétentieux en nous érigeant nous-mêmes en norme du bien ou du mal, mais pour dire à Dieu notre désarroi, pour lui remettre notre souci du droit et de la justice.
Prier c’est accepter que les autres ne nous appartiennent pas, que nous-mêmes ne nous appartenons pas, que nous sommes tous fils et filles du Dieu qui fait lever le soleil et la pluie sur les bons comme sur les méchants.
Dans un livre que vient de publier le professeur Frédéric Rognon sur la spiritualité du théologien Jacques Ellul (Prier 15 jours avec Jacques Ellul), il relève cette citation :
« Si vous voulez être véritablement révolutionnaires dans cette société (…) soyez des contemplatifs », (Autopsie de la Révolution 1969).
Frédéric Rognon explique : Jacques Ellul dernier avait « théorisé la prière – qu’il nomme la contemplation – comme une troisième voie face à l’engagement (faire pour) et au désengagement (ne rien faire) ».
Une fois libéré par le Christ, et en renonçant à aboutir à tout prix à un résultat, il est alors possible de s’engager dans la légèreté, dans la joie et sans angoisse. Sans porter le salut du monde sur ses épaules, dans une attitude d’espérance.
La prière (contemplation) devient l’attitude véritablement révolutionnaire (quand la Révolution semble impossible). Car celle-ci, à contre-courant de la quête d’efficacité, de performance, est gratuite, posée. Elle accueille la beauté de la Création, des gestes d’amour, de gratuité, elle est une attitude de gratitude.