1 L’Éternel dit à Abram : « Quitte ton pays, ta patrie et ta famille et va dans le pays que je te montrerai.
Genèse 12, 1-14
2 Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction.
3 Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. »
4 Abram partit conformément à la parole de l’Éternel, et Lot partit avec lui. Abram était âgé de 75 ans lorsqu’il quitta Charan.
CFS, ce matin, vous n’aurez pas perdu votre temps en vous levant et en venant au culte.
Parce que ce matin, je vous ai préparé, et je vais vous révéler : “Comment devenir riche en allant à l’église !”.
Je sens que vous allez m’adorer. Et, comme vous savez qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, je me suis dit que j’allais tester ma méthode avec vous, et si elle vous satisfait, je pourrai alors la commercialiser.
Ma méthode s’appelle “la méthode Abraham”.
Avant de vous l’expliquer, je vais vous présenter l’anti-méthode. La meilleure manière pour ne jamais devenir riche.
Vous connaissez l’expression “Un tiens vaut, dit-on, mieux que deux tu l’auras” ?
Vous connaissez son origine ?
Elle vient d’une fable de la Fontaine “le petit poisson et le pêcheur”. Une jolie petite histoire : Un jour un pêcheur avait pêché un tout jeune et tout petit poisson. Et la fable commence ainsi “ Petit poisson deviendra grand, pourvu que Dieu lui prête vie”.
Le poisson se met alors à essayer d’expliquer au pêcheur qu’il est encore trop petit pour être mangé. Il ne constituerait qu’au mieux une demi-bouchée. Il recommande alors au pêcheur le relâcher pour le laissait grandir et le repêcher plus tard. Il ferait alors une bien meilleure affaire et peut-être même pourrait-il le revendre un bon prix.
Mais le pêcheur ne l’entendra pas de cette oreille et lui répondit “Poisson mon bel ami, qui faites le prêcheur, vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire ; dès ce soir on vous fera frire. Un tiens vaut, dit-on, mieux que deux tu l’auras ; l’un est sûr, l’autre ne l’est pas. »
Ce pêcheur était mû par son estomac et son plaisir immédiat. Mais avec un tel comportement il ne deviendra jamais riche.
Que n’aurait-il écouté la leçon d’économie du petit poisson. Parce qu’en effet, le petit poisson aurait pu bien enseigner à HEC. Car son dicton « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », était rien moins qu’une leçon de capitalisme.
Une leçon que les industriels protestants de notre région sauront d’ailleurs appliquer avec brio. Pour produire des richesses, il faut sans cesse réinvestir ses profits plutôt que de consommer immédiatement ses revenus. C’est de là que vient l’image austère attribuée aux calvinistes, préférant manger des pommes de terre à l’eau durant toute leur vie pour développer des entreprises productives. Contrairement au pêcheur qui engloutissait chaque bénéfice dans son plaisir immédiat, ils se sont mis à l’école d’une autre fable de La Fontaine : se faisant fourmis travailleuses plutôt que cigales jouisseuses.
C’est le même principe qui va gouverner la naissance des civilisations au moment de la révolution néolithique avec l’invention de l’agriculture et la domestication des animaux permettant l’élevage. Dès lors “deux tu l’auras” deviendra préférable à “un tiens tout de suite”. Ce sera le début de l’accumulation des biens, de la concentration du capital productif.
Dans le règne animal il y a trois manières de se nourrir dans la durée et en particulier durant l’hiver : l’hibernation – en faisant provision de graisse et en diminuant ses besoins énergétiques en entrant en sommeil – la migration qui consiste à aller chercher sa nourriture plus loin, et enfin les « provisionnants » ou « prévoyants », comme par exemple les écureuils qui cachent durant l’été suffisamment de provisions pour passer l’hiver. La révolution néolithique nous fera passer du statut d’animaux migrateurs, nomades chasseurs-cueilleurs, à écureuils prévoyants. Et les greniers à blés comme les grands troupeaux étaient les précurseurs de nos congélateurs et de nos banques.
C’est grâce à cette révolution que l’être humain va se sécuriser alimentairement et que le nombre d’humains sur la planète va pouvoir exploser, passant d’un million d’habitant sur la terre il y a 30 000 ans, à 5 millions il y a 10 000 ans, 80 000 000 quand Jésus naîtra et ces jours-ci nous devrions être en train de passer le cap des 8 milliards.
Nous sommes peut-être en train de vivre, sans nous en rendre compte, de sortir du cycle néolithique pour entrer dans une nouvelle ère que nous avons encore du mal à discerner. Du point de vue géologique elle est nommée “anthropocène”, au sens où désormais c’est l’activité humaine qui acquis le pouvoir de contrôler la terre et son évolution.
Du point de vue de l’histoire humaine, nous n’en sommes encore qu’au début, cette histoire n’est encore qu’en train de commencer à s’écrire. Elle s’accompagnera probablement de nouveaux récits religieux. Comme les religions monothéistes sont nées en accompagnement le développement de l’ère néolithique et nos récits bibliques en sont directement issus. Ce fait que nous soyons à l’aube d’un changement d’ère peut expliquer le sentiment de confusion et notre époque, la fin des grands récits politiques et religieux qui ne résonnent plus avec notre temps et l’absence de récits nouveaux encore stabilisés.
Et ce qui est valable pour la nourriture et nos besoins naturels, l’est aussi pour nos besoins spirituels, notre besoin de dire le sens de ce que nous vivons.
Je vous ai promis de vous rendre riches, je ne l’oublie pas.
Et vous le savez, être riche, n’est pas qu’une notion matérielle. Celle-ci ne suffit pas. Il est une autre forme de richesse, toute aussi essentielle pour vivre : c’est la liberté.
La question du rapport entre richesse matérielle et liberté traverse tout l’histoire humaine. Est-on libre si on n’a pas de quoi manger, de se déplacer pour aller travailler, de permettre à ses enfants de suivre des études ? A l’inverse quel intérêt y a-t-il à être riche matériellement si je n’ai pas la liberté, ce qu’un certain nombre d’oligarques russes ont découverts récemment, vivant dans la crainte du jour au lendemain de déplaire à leur prince et de se voir emprisonnés voire éliminés. Des questions qui traversent aussi les récits bibliques : pensons aux hébreux qui ont la sécurité matérielle dans le désert avec la manne, mais sont toujours prisonniers mentaux des Égyptiens. Ou cet homme riche de la parabole qui avait construit de grands greniers pour mourir la nuit suivante.
Examinons donc la méthode Abraham, pour acquérir cette richesse qu’est la liberté.
Qui est Abraham?
Un homme riche, très riche même nous dit la Bible : propriétaire d’immenses troupeaux. Une sorte d’oligarque de son temps. Mais il éprouvait une insatisfaction existentielle. Avec son père Terah, il avait quitté Ur pour la ville d’Harran. Deux villes réputées pour être dédiées au culte du dieu de la lune Sin. Les récits bibliques ne développent pas directement cet épisode sinon par la mention de l’idolâtrie de Terah. Mais les midrash, des commentaires de ces récits complètent ces vides.
Il en est qui raconte qu’un jour une femme vint auprès d’Abraham avec un panier de farine. Elle lui dira : « Voici une offrande pour tes dieux ». Car Terah avait nombre de statues de divinités qu’il hébergeait chez lui.
« Abraham prit un bâton, et fracassa toutes les idoles, à l’exception de la plus grande, dans la main de laquelle il plaça le bâton”.
Lorsque son père revint il lui demanda ce qui s’était passé. Abraham répondit : “Une femme est venue avec un panier de farine et m’a demandé de les donner à ces dieux. « Lorsque je leur ai présenté les offrandes un dieu a dit : »Moi d’abord ! », un autre « Non, moi d’abord ! » Alors, le plus grand s’est levé et a brisé toutes les autres.
Son père lui dit : « Te moques-tu de moi ? Comment ces statues pourraient-elles faire quoi que ce soit ? ». Ces statues ont-elles un esprit, une âme, ou même la force de faire tout ce que tu m’as raconté ? En vérité elles sont faites de bois et de pierre et c’est moi qui les ai faites ! Comment peux-tu me mentir à ce point ?
Abraham répondit à son père : « Tes oreilles n’entendraient pas ce que ta bouche vient de dire ? Comment peux-tu adorer ces idoles dont tu viens de reconnaître qu’elle n’ont pas la force de faire quoi que ce soit ?”. « Comment pourraient-elles alors entendre les prières lorsque tu les supplies”.
A partir de ce moment-là, Abraham gagna sa liberté. Par rapport à la tradition religieuse héritée, à l’autorité absolue de son père, aux superstitions, à l’astrologie aussi qui consistait en une vision préécrite de l’histoire, donc sans liberté.
C’est pour cela qu’Abraham est devenu le premier des croyants.
Vous me direz mais Terah était aussi croyant, il croyait en ses statues, il croyait au dieu “lune”. Quelle différence entre les deux ?
La différence est celle, radicale, de la liberté de la foi. Il n’est pas de foi sans liberté. Et c’est ce qui est l’enjeu des quatre petits versets que nous avons entendus. Qui définissent ce qu’est la foi. Qu’est-ce que la foi en effet ? Elle pourrait se résumer en un seul mot “pars !” ou : “va-t-en !” ou “quitte !”.
La foi est d’abord une rupture. Et le texte le dit très fort. Dieu dit à Abraham : “Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père”.
Il n’est pas d’histoire sans nouveauté, il n’est pas d’histoire sans invention, il n’est pas d’histoire sans rupture, il n’est pas d’histoire sans mouvement, il n’est pas d’histoire sans liberté ! La foi telle que l’amène ce récit, telle que la Bible en témoigne, ce n’est pas simplement remplacer des dieux par un autre qui leur serait supérieur. La foi est d’abord une protestation contre la religion, entendue comme une absence de liberté de pensée, une absence de critique, une absence de raison également. La foi est une protestation contre la religion magique aussi. Parce qu’il n’a pas été dit à Abraham si tu fais ceci, si tu te soumets à cela, si tu accomplis tel rite ou tel sacrifice, accomplis tel geste, tu obtiendras une récompense. Non, Dieu ne dicte pas la route à Abraham, il lui dit juste « pars ! », sans lui dire où aller ! C’est que l’auteur de la lettre aux Hébreux a justement compris “C’est par la foi qu’Abraham, … partit sans savoir où il allait”.
La foi c’est juste l’appel à partir, c’est-à-dire à se rendre être libre d’attaches et de sécurités. On pourrait dire aussi que la foi c’est le chemin. Ce n’est ni le but que je ne connais pas, ni la tradition ou l’héritage qu’il me faut abandonner.
C’est pourquoi aussi ce récit de la vocation d’Abraham peut être considéré comme un quatrième récit de création. Le premier était celui en Eden, qui avait échoué puisqu’il avait fallu expulser Adam et Eve. Le second échec fut celui qui s’acheva par le déluge avec Noé. La troisième tentative n’avait pas encore été la bonne puisqu’il y avait eu la tentation totalitaire de la tour de Babel. Alors Dieu qui ne lâchait pas l’affaire, avait décidé d’expérimenter une nouvelle méthode encore avec Abraham. Un récit le raconte ainsi. Dieu disposait d’un logiciel de CAO, Conception Assistée par Ordinateur comme tous les architectes. Il avait entré les plans une première fois mais le monde s’était effondré. Puis une seconde, une troisième fois. A chaque fois il échouait. Il eut alors une idée d’une donnée nouvelle qu’il avait introduit dans le logiciel et cette fois le monde avait tenu debout. Quelle était cette donnée ? La capacité de l’homme de changer de comportement, de changer de vie, de partir : la liberté. Désormais il était dit que notre avenir n’est écrit nulle part, ni devant nous, ni derrière nous, ni dans ce que nous ont transmis les anciens, ni dans ce que promettraient les faux-prophètes. L’avenir n’était que dans le chemin.
Mais alors, si la foi est une rupture avec la religion, la tradition, les idoles, avons-nous encore besoin d’un dieu ?
Je dirai nous n’avons plus besoin d’un dieu, mais de Dieu. Du Dieu qui nous libère des idoles qui sans cesse repoussent. Même hors du champ des religions. Parce que tout peut devenir une idole. Et si l’homme rejetant Dieu croit pouvoir s’en passer, bien vite il finit par reconstruire une nouvelle forme de religion, une nouvelle forme de soumission, comme le récit de Babel l’a montré. Parce que l’humanité est en quête d’un Père, si elle n’a plus le secours de l’idole, elle se choisira, tel penseur, philosophe, économiste, gourou, roi. Ou bien il constituera la raison et la science en idoles, c’est-à-dire qu’il se fera ivre de lui-même, devenant sa propre idole.
C’est ce que raconte un dernier midrash, dans une version actualisée.
Terah emmena un jour Abraham chez le roi Nemrod. .
Nemrod lui dit: « Adorons le feu ». Il est la source de la civilisation, avec lui l’humanité a appris à cuire les aliments, forger des armes, construire des moteurs, maîtriser l’atome.
Abraham lui dit: « En ce cas, adorons l’eau, puisqu’elle éteint le feu.
Nemrod lui dit: « Adorons l’eau ». Elle est utile pour faire tourner les moulins, produire de l’électricité, arroser les plantations, refroidir les data-centers.
Abraham lui dit: « En ce cas, adorons les nuages, puisqu’ils portent l’eau. »
Nemrod lui dit: « Adorons les nuages. » Il amènent la rosée du matin qui rafraîchit les terres, et nous menons déjà des expérimentations pour les ensemencer pour leur faire dégorger les milliers de tonnes d’eau qu’ils conservent.
Abraham lui dit: « En ce cas, adorons le vent, puisqu’il disperse les nuages. »
Nemrod lui dit: « Adorons le vent. » Il porte les graines et le pollen des plantes, il rend les fortes chaleurs plus supportables, il façonne les paysages, il est une source inépuisable d’énergie gratuite pour l’homme.
Abraham lui dit: « En ce cas, adorons l’homme, puisqu’il résiste au vent. » Et son créateur comme celui de toutes choses.
Nemrod perdant patience lui dit: « Ce que tu dis est absurde ; je ne m’incline que devant le feu. Je vais t’y précipiter. Que le Dieu devant lequel tu t’inclines vienne et t’en sauve. »
Abraham sera précipité dans la fournaise, et comme le prophète Daniel plus tard, sera protégé par Dieu.
Abraham aura été l’homme d’une double protestation :
– contre la religion, au nom de la science et de la raison,
– contre la science qui s’érige en religion.
Jamais l’une sans l’autre, la religion et la science, par la foi, forment un couple nécessaire indissociable, se limitant l’une l’autre. La foi retient la religion comme la science de se prendre pour les réalités ultimes.
Abraham nous rappelle qu’il n’est d’autre réalité ultime que ce Dieu qui nous invite à toujours demeurer en chemin.
Alors, si vous appliquez la méthode « Abraham » : qui consiste à partir, par la foi, pour ne se soumettre à rien ni personne, avec pour seule assurance votre confiance dans la bénédiction de Dieu, vous serez assurés de compter parmi les plus riches des hommes, riches de votre liberté.
Jean-Mathieu Thallinger, pasteur de la Dynamique Mulhousienne